L'histoire de Kim Kum-sun me hante depuis 1958. La raconter dans Le Lièvre de Patagonie en 2009 a probablement ravivé mon envie d'en faire un film. Des lecteurs du livre m'en ont parlé, et François Margolin, le producteur, dont le fils était mon meilleur ami (Félix, décédé d'un cancer le 13 janvier 2017, à l'âge de 23 ans), m'a convaincu de tenter l'aventure, d'y retourner, mais cette fois pour y tourner Claude. Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie.
Longtemps habité par un projet de fiction qu'il envisageait de confier au réalisateur de Steven Spielberg, Lanzmann a finalement décidé de retourner sur les traces de son idylle nord-coréenne pour raconter son histoire, face caméra. Dans Napalm, la méthode traditionnelle de Lanzmann est inversée : le réalisateur se présente comme le sujet témoin, contrairement à ses autres films, où il apparaît comme un intervieweur. « Das is das Platz. » Oui, c'est bien ici. » Citant Simon Srebnik, le premier protagoniste de Shoah, Lanzmann se souvient, sur un pont resté inchangé, de sa rencontre avec Kim Kun Sun, une infirmière nord-coréenne, rencontrée en 1958.
1958 - cinq ans après la dévastatrice guerre de Corée, Kim Il Sun, chef d'État nord-coréen, invite des personnalités occidentales en visite officielle. Parmi elles, Armand Gatti, Jean-Claude Bonnardot, Pascal Clark, Francis Lemarque, Claude Lanzmann... De ses nombreux déplacements à travers le pays, Lanzmann reste marqué par une rencontre inédite : l'infirmière Kim Kun Sun. Pourtant, la jeune femme et le délégué français n'avaient qu'un seul mot en commun, que chacun comprenait : « Napalm ».
« Et elle découvrit rapidement un sein beau comme une poire, qui était lourd. On avait envie de le toucher. Et sous le sein, une grosse barre noire de chair brûlée. Et elle ne dit qu'un mot : napalm. » Claude Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie.
« Napalm », les bombardements américains ont ensuite déversé 3,2 millions de litres de napalm sur la péninsule nord-coréenne, faisant 4 millions de victimes. Lanzmann nous montre des images d'archives des bombardements et de leurs victimes. Des images qui font directement écho à celles de la Corée du Nord d'aujourd'hui, « le dernier bastion du stalinisme au monde », qui semble figée dans le temps, le 27 juillet 1953, date de la fin de la guerre. « C'est une critique très sévère de cette dictature totalement antidémocratique. Mais je ne voulais pas qu'on oublie les bombardements sauvages des Américains [...]. Car si on les ignore, on ne comprend rien à la situation actuelle, aux relations avec les Américains. C'est aussi un film un peu complexe car il montre la fin des temps. »
Claude Lanzmann a tourné ce film sans autorisation en Corée du Nord, un pays qui demeure l'un des plus fermés au monde. La seule autorisation obtenue concernait le tournage d'un film sur le taekwondo. Certaines de ces images sont visibles dans le film. Chaque autre plan représente une victoire sur le contrôle permanent de la police politique du régime. Enfin, ce qui confère à Napalm sa singularité, c'est qu'il est le seul film de Claude Lanzmann à ne pas aborder l'histoire du peuple juif, qui fut le sujet principal de sa vie de cinéaste avec Why Israel, Shoah, Tsahal et tous les films qui en découlent.