Il y a quarante ans, le 30 avril 1985, quarante ans après le suicide d'Hitler le 30 avril 1945, les premiers privilégiés vivaient l'expérience incroyable de découvrir le film devenu éternel : Shoah.
Cet OCNI (Objet Cinématographique Non Identifié) fut initialement projeté dans trois salles parisiennes, seules trois copies 35 mm étant disponibles : le Monte Carlo, au 52 avenue des Champs-Élysées, et deux salles de Frédéric Mitterrand : l'Olympic Maryline, au 10 rue Boyer-Barret (14e arrondissement) et l'Olympic Luxembourg, au 67 rue Monsieur-le-Prince (6e arrondissement). Ceux qui étaient présents n'hésitent pas à partager leurs souvenirs avec nous en écrivant à contact@claude-lanzmann.com.
La sortie en salles fut précédée d'une projection en avant-première en présence de François Mitterrand, le dimanche 21 avril, au Théâtre de l'Empire. En janvier, il répondait : Cher Claude Lanzmann, Merci pour votre lettre. Votre témoignage est très important pour moi. Je suis heureux d'apprendre que vous terminez votre film, et j'imagine votre état d'esprit à l'idée d'achever une œuvre qui vous a occupé pendant tant d'années. Je suis convaincu qu'il s'agit d'un monument digne de notre piété et de la mémoire collective de notre temps. Après ce film, certaines déformations haineuses de l'histoire ne seront plus possibles... De fait, en janvier 1985, le film n'avait pas encore reçu de nom. Le choix de ce nom a fait couler beaucoup d'encre. Certains ont même affirmé l'avoir évoqué à Claude Lanzmann à la dernière minute. D'ailleurs, Tamar Lewinsky, conservatrice du Musée juif de Berlin, m'a récemment fait écouter des extraits d'entretiens réalisés en préparation de Shoah, un corpus de 250 heures d'entretiens enregistrés sur cassettes audio, mené par l'ACFL au Musée juif de Berlin en 2021 lors de la préparation de la candidature franco-allemande au titre Mémoire du monde de l'UNESCO.
Comme me l'a expliqué Tamar Lewinsky, qui effectue un travail remarquable sur ces enregistrements, il s'agit d'un entretien en anglais de Claude Lanzmann avec l'une des rares survivantes du camp d'extermination de Sobibor, Ilana Safran, une Israélienne qui avait demandé à Claude son consentement pour être filmée, mais qui a refusé et n'apparaît donc pas dans Shoah. Claude lui explique textuellement en anglais en 1975, dix ans avant la sortie du film : « Je prépare un film sur la Shoah.» J'avais donc la preuve de ce qu'avait fait Corinna Coulmas, principale assistante de Claude pour la production de Shoah, pendant douze ans : tout au long de la préparation de Shoah, l'équipe composée de Claude et de ses deux assistantes hébraïques, Corinna Coulmas et Irena Steinfeldt-Levy, utilisait fréquemment le mot « Shoah », tel qu'il était utilisé en Israël depuis 1948 pour désigner l'extermination des Juifs d'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale – un mot qui signifie « grande catastrophe » et que l'on retrouve un nombre limité de fois dans la Bible. Alors, à la dernière minute, faute de trouver un titre, Claude a opté pour Shoah, qu'il a très bien exprimé dans Le Lièvre de Patagonie. Après la première au Théâtre de l'Empire, le journal Le Monde a publié la critique de Simone de Beauvoir dans son numéro du 29 avril, que les abonnés du journal peuvent relire aujourd'hui : « Shoah, de Claude Lanzmann : La mémoire de l'horreur ».
Le film a commencé son voyage universel. Depuis, l'inscription de l'ACFL au patrimoine mondial de l'UNESCO, en raison de sa dimension internationale, a remis ce monument sur le devant de la scène à travers le monde. Il a été projeté à Varsovie, au cinéma Muranów, au cœur du ghetto, le week-end du 13 et 14 avril 2025, devant une salle comble. Puis, le week-end dernier, au Festival de Pékin, avec le magnifique film de Guillaume Ribot, inspiré des tempêtes de Shoah : « Je n'avais que le néant », dont nous vous parlions précédemment. L'INA et Lumni Ensegment célèbrent également les 40 ans de ce film.
Le matériel pédagogique a été conçu par Jean-François Forges en collaboration avec Claude Lanzmann. L'INA et Lumni mettent à disposition des extraits de « Shoah » à l'occasion des 40 ans de sa sortie.
"Shoah“ - abstrait 1 - La disparition des traces
"Shoah“ - abstrait 2 - Les chambres à gaz de Treblinka et d'Auschwitz
"Shoah“ - abstrait 3 - Grabow polonais
"Shoah“ - abstrait 4 - Chelmno Pologne
"Shoah“ - abstrait 5 - Le processus de mise à mort à Treblinka
"Shoah“ - abstrait 6 - Vie et mort des Juifs du camp familial de Theresienstadt à Birkenau
Cette œuvre, que « chacun devrait voir au moins une fois dans sa vie », comme l'a déclaré l'étudiant polonais Franek Csaja à propos de la projection à Varsovie, doit être montrée encore et encore. Il appartient à chacun d'exploiter les vertus éducatives de ce film dénué de toute image de violence, que ce soit à l'école ou en famille, pour sensibiliser tous les âges à la lutte contre les dérives sociales actuelles.